04 décembre 2017

Une bulle de jazz dans l'hiver lotois

Duo Louis Sclavis - François Raulin, Payrac, le 30 novembre 2017
Depuis quelques années, un solide partenariat s’est établi entre la scène conventionnée de Saint-Céré et le festival de jazz de Souillac pour la programmation jazz de la saison du Théâtre de l’Usine qui irrigue tout le territoire de Cauvaldor, soient une vingtaine de communes du nord du département du Lot.
Plantons le décor. Il neige ce soir du 1er décembre sur Payrac, un bourg du Lot d’un peu plus de 600 habitants, à quelques kilomètres de Souillac. Dans la salle polyvalente du village trônent un magnifique piano à queue noir et un pupitre face à une soixantaine de spectateurs. Deux artistes majeurs de la scène jazz donnent un concert. François Raulin et Louis Sclavis se concentrent, repoussent la neige, le froid, la nuit pour déployer une étendue de musique, unique, prégnante.
Louis Sclavis embouche la clarinette basse, qu’il alternera avec la clarinette, et expose, dans un dialogue soutenu avec le pianiste, « Le Sommeil des sirènes » suivi sans intermède de « Last Exit ». Les deux morceaux, complexes, exigent une concentration totale des instrumentistes, les yeux fixés sur les partitions d’une musique qui s’envole, enjouée et empreinte de mystère.
Les thèmes sont très écrits, rythmes et harmonies complexes, joués parfois sous forme de dialogue ou exposés tour à tour par chacun des deux instruments. Les chorus y ouvrent des espaces qui paraissent infinis d’exploration et de fantaisie. La connivence entre les deux artistes est évidente et elle paraît essentielle pour fonder une musique si exigeante et élaborée et leur donner l’élan et le socle d’improvisations qui nous offrent de vrais moments de grâce.
« La Lettre à Emma Bovary », composition de François Raulin, qui commence dans un jeu de piano, délicat, une dentelle de notes où se glisse la clarinette lente et calme, un peu triste, porte en elle une émotion communicative. Happés, les spectateurs sont bien là, avec, dans le concert.
Les deux musiciens se contentent d’énoncer les titres des morceaux, laissant la parole à la musique pour dire tout le reste. Et chacun s’y love.
Le chant est là aussi ; dans la composition de Louis Sclavis « Along the Niger », il nous guide sur les chemins de la patience vers une contemplation admirative, ponctuées d’événements suggérés par des motifs dessinés par le piano puis par la clarinette.
Dans l’ombre du grand piano noir qui reflète dans ses courbes les spots et les éclats de lumière renvoyés par la verticalité de la clarinette au léger pavillon métallique, un paysage se dessine : celui des poursuites à cheval, des vastes plaines, des voies qui bifurquent.
Nos yeux se posent sur les mains du pianiste, sur l’exactitude du geste, léger et parfait et sur le visage du clarinettiste, éblouis par le souffle inépuisable en puissance et vivacité. Alors se déploient de longues et amples phrases qui donnent vie à l’inspiration du musicien.
Peu avant la fin du concert, les musiciens quittent leurs partitions, improvisent pour nous, assis là devant eux, en cadeau pour chacun.
Deux rappels sur des airs de danse jouent du charme et de l’élégance, juste avant que le vin chaud ne nous ramène à la réalité climatique.
Marie-Françoise
photos Marc Pivaudran