18 juillet 2017

La face cachée du musette ou la vie privée de Jo Privat



Concert du 17 juillet 2017, source Salmière, Alvignac-Miers, organisé en partenariat avec l'association Racines, Alvignac. 
De l'autre côté du musette (par la compagnie Du souffle aux cordes).
A qui veut y regarder de près, et Mary Estrade a décortiqué les partitions des Jo Privat, Tony Murena et autre Gus Viseur trouvées dans un vide-grenier, l’accordéon musette est bien loin du cliché du bal aux ritournelles éculées qui lui ont valu méconnaissance voire mépris pendant une cinquantaine d’années. Mais voilà, Mary est clarinettiste, Marc Estrade guitariste, Jérôme Gast contrebassiste. Pourtant le trio rend hommage, à chaque instant, à cet instrument dont Mary rappelle les « petits noms », du classique piano à bretelles au boutonneux, en passant par le « branle-poumons » et « l’attrape grand-mère ». Casquettes vissées sur les têtes et marcels blancs, les trois musiciens ont un petit air canaille.
Le musette et la clarinette cheminent alors de conserve, de découverte en surprise, de mélodies en rythmes syncopés, de valse en jazz.
Mary raconte et le fil se noue au gré des anecdotes, familiales et voyageuses. Elle donne vie à un personnage qui se donne à la musique et à l’accordéon, entre les bars parisiens et les villes de province et  ce tissu biographique se colore de musique. Ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas d’une histoire illustrée musicalement. Au contraire, chaque épisode n’est que le prétexte pour lever le voile sur la musique des grands accordéonistes de la première moitié du XXe siècle, chaque bar et chaque voyage impulsant une idée nouvelle où le musette montre peu à peu sa face cachée.
Voici venu le temps des chansons : « Que reste-t-il de nos amours ? », « Il suffirait de presque rien » où la voix et la contrebasse dialoguent avec ferveur, « Le soleil a rendez-vous avec la lune ». Alors le spectateur se laisse surprendre par une interprétation à la fois énergique et fragile, où la rythmique (guitare et contrebasse) dément toute mièvrerie et flirte avec le jazz, où sous la voix grave on entend frémir Colette Magny et Nina Simone.
Quand Jo Privat entend jouer les copains de Django Reinhardt, son accordéon invente le musette jazz. A ce moment du récit, le concert suit Jo Privat et les morceaux s’enchaînent sans craindre le mode mineur. L’ultra entendu « Nuages » s’énerve, s’écorche, se gratte, se tend et se détend, se cabre, se heurte et se défend avant de s’achever par une longue note aigüe à la clarinette, tenue, tenue, accrochée aux branches du tilleul bienveillant dont l’ombre s’estompe dans la nuit tombée. Le guitariste et le contrebassiste se lancent avec aisance dans l’aventure manouche.
Les amis Gus Viseur et Tony Murena se mêlent de cette histoire et un magnifique dialogue clarinette guitare ouvre le célèbre et poignant« Indifférence ». « La Complainte du progrès » de Boris Vian démarre, rapide, syncopée, drôle. Puis Mary scatte, longtemps, de sa voix grave, parfois rauque. Le décor change, on a quitté les bars du musette et les caves du jazz, nous nous surprenons à entendre une chanteuse de la Great Black Music, qui se tord pour donner le fond de son âme.
A Souillac, nous aimons la musique de Mary et de ses complices, celle qui éveille le lieu enfoui dans chacun d'entre nous où la peine et le doute se fondent avec la joie, celle qui arrange les idées reçues, qui éclaire à coups d’émotion les mélodies. 
Marie-Françoise