19 juillet 2017

C’est extra



Souillac en jazz. Concert du 18 juillet 2017, grottes de Lacave. Tony Hymas piano solo joue Léo Ferré.


Le concert dans les grottes de Lacave est sans nul doute lié à un rituel de passage : passer de la chaleur écrasante à la fraîcheur humide, de la lumière encore vigoureuse à l’obscurité quasi-totale, pénétrer par un petit train cliquetant dans le cœur de la roche, monter pour atteindre une large salle à la voûte imposante. Sur une estrade munie d’un piano électrique rouge, un homme accueillant, souriant, au regard amusé. Il joue. Faisant fi de la curiosité de l’insolite, chacun adopte pleinement le monde de Léo Ferré déconstruit-reconstruit par le pianiste, qu’il reconnaisse ou non les airs des chansons. Tony Hymas les fond les uns dans les autres pendant presque trois quarts d’heure. Les mélodies se reconnaissent aisément, et le pianiste développe, conduit sur ses chemins personnels Les Poètes et Jolie Môme, C’est extra et L’affiche rouge. Sans que ce soit toujours aisément perceptible, Tony Hymas lie subtilement les morceaux, utilisant des codes internes, des harmonies communes, des clins d’œil presque invisibles, inaudibles. L’auditoire est en haleine, les stalactites retiennent leur goutte à goutte ; alors la musique, dense et épanouie, remplit l’espace. Quelques touchers délicats invitent la poésie. Puis les touches s’emballent en une montée lyrique qui rappelle les enthousiasmes slaves d’un Chopin. Un soupçon de musique répétitive évoque Keith Jarrett, délicatement, en passant. Ne pas en rester là : le concert continue, dans la même sérénité poétique, énergique, enveloppante. Standing ovation, Madame Ferré est une des premières à se lever, bouleversée. Le généreux Tony Hymas joue trois rappels. Qui rappellent qu’avec le temps…
Marie-Françoise, d’après les témoignages de Matthieu, Marc, Robert et Arnaud.

Il y a cinquante ans disparaissait John Coltrane



Il y a 50 ans disparaissait John Coltrane, c’était le 17 juillet 1967 – Chaque jour, la Jazzette évoquera cet artiste majeur.
Ils sont venus à Souillac et parlent du saxophoniste à Franck Médioni, John Coltrane. 80 musiciens de jazz témoignent, Actes Sud, 2007.
Marcel Zanini (Souillac en jazz – 1985) : Il était adorable. Il parlait doucement, toujours approbatif. C’était un homme modeste d’une grande intelligence, il était très doux, très gentil, c’était un pur.
Johnny Griffin (Souillac en jazz - 1987) : Ce disque, Blowin’ Sessions, c’est la seule et unique fois où j’ai enregistré avec Coltrane.
Daniel Humair (Souillac en jazz - 1987, 1992, 1993, 1999, 2013) : Je me souviens bien, je me trouvais au premier rang à l’Olympia, le 21 mars 1960. Je pleurais. C’est la première fois où j’ai pleuré en écoutant de la musique.
Martial Solal (Souillac en jazz - 1988) : Ce qui me marque chez Coltrane, c’est sa liberté, sa volubilité, son phrasé, ses inventions.
Dave Liebman (Souillac en jazz - 1990) :  J’ai été fasciné par cette musique, sa densité, son intensité et sa sophistication, en particulier celle du quartet avec McCoy Tyner, Jimmy Garrison et Elvin Jones. J’avais alors quinze ans, ce fut un tel choc pour moi.
Eric Barret (Souillac en jazz - 1990) :  Ce qui m’a le plus marqué chez Coltrane, ce dont je n’étais pas conscient tout de suite, mais dont j’ai pris conscience petit à petit en découvrant toute son œuvre, c’est la remise en question constante de son travail.

La magie, à nouveau…



Concert d’ouverture du 42e festival de jazz de Souillac, 17 juillet 2017, Pinsac, Romain Vuillemin Quartet


La magie, à nouveau…
Pinsac et le festival, c’est un peu une histoire d’amour où le jazz susurre à l’oreille de son public : « on se retrouve après le 14 juillet, lundi soir, à 21 heures, tu sais… au pied de l’église… je t’attendrai. » Et c’est un rendez-vous que personne ne manque. Chaque année, les amoureux sont toujours plus nombreux. Hier soir après une journée chauffée à blanc par un soleil impitoyable, nous avons renoué avec ce rituel porté cette année par un vigoureux quartet, celui de Romain Vuillemin. Quatre jeunes garçons dans le vent - une brise légère s’est levée en effet, caressant le visage et nous réveillant de notre torpeur. Deux guitares, une contrebasse et un violon qui vont nous entraîner dans les pas de Django, Grappelli et de leurs talentueux héritiers .
Deux images : la première, ferroviaire… Avec la contrebasse et la guitare rythmique, nous avons une loco de choix : énergie, tempo immuable, binôme qui inlassablement alimente le foyer. Le lead guitare en chef de train : lui, donne la direction, instille la mélodie et déploie, déroule un tapis harmonique et rythmique à notre voyageur de première classe qu’est le violon, fantasque, taquin, charmeur incisif.
La seconde image pourrait illustrer ce qui se passe lorsque ces jeunes gens foulent le plancher de la scène. Non, ils ne sont pas là seulement pour « jouer » ou « interpréter ». Ils sont résolument entrés dans une arène car ces instruments, il va falloir les mater, les dompter. Voyez la pince puissante d’Édouard le contrebassiste, qui lui permet de décocher les fondamentales comme autant de traits. Rémi est « à la pompe », geste immuable et inépuisable qui assure une trame harmonique sans faille. Que dire de la mélodie distillée par Romain, pure et métallique - c’est cela aussi le son « manouche », mélodie imprimée par des doigts d’airain. Le violon de Guillaume, soit joué à l’archet ou en pizzicati (cordes pincées avec  les doigts) redouble la mélodie, offre un contrepoint solide à la guitare, ondoie et glisse sous un archet à la fois tendre et furieux. Il aura fallu les deux premiers morceaux pour que la machine acquière sa vitesse de croisière. La nuit nous a rejoints : le quartet ne nous lâchera plus.
Romain nous propose un standard de Django. Question : « à trois ou à quatre temps ? » Qu’à cela ne tienne, ils vont alterner entre un balancement élégant et un quatre temps mordant et endiablé permettant toutes les audaces. Déjà la technique est en place et la virtuosité illumine la scène. Le quartet  poursuit avec un autre standard que Romain nous conte d’une voix chaude, grave et sans effet. Le chorus de violon qui s’ensuivra est somptueux ; il est vrai que l’accompagnement rythmique puissant autorise toutes les nuances. Le cinquième morceau réserve bien des surprises ! Surtout à nos artistes qui échangent des regards mi-affolés, mi-amusés. Iront-ils jusqu’au bout à cette allure ? Question que le public partage. Ce sera chose faite ; la Très Grande Virtuosité s’arrêtera à Pinsac sans encombre. Alternance de tempos oblige, le violon de Guillaume va nous « parler d’amour », nous « dire des choses tendres », cette fameuse pièce de 1938 interprétée par Lucienne Boyer. Mention spéciale pour un magnifique chorus en pizzicati au violon.
Nous quitterons alors notre beau pays pour l’Est et ses rythmes envoûtants ; l’ambiance est détendue. Romain en profite pour nous dire sa profonde amitié pour Guillaume et leur complicité musicale : les deux compères l’illustrent aussitôt par un dialogue fourni entre violon et guitare sous forme de 4/4, c’est-à-dire de sections de quatre mesures jouées alternativement par chaque instrument.
La nuit à présent profonde sied parfaitement à l’intro contrebasse d’Édouard qui semble vouloir « raccompagner sa chérie chez elle ». « Walking My Baby Back Home » tel est en effet le titre du morceau suivant. Le swing présent depuis le début du concert ne se dément pas et trouvera son apothéose dans le dernier morceau clôturant le premier set.
À la reprise s’enchaîneront dans la bonne humeur et dans les chausse-trappes facétieuses que se tendent nos brillants instrumentistes, de grands classiques comme : « Swing 41 » de Django, «Sometimes I wonder Why I Sang » de Karmickael (1930), « Topsy » de Count Basie (1930), un « Tea For Two » délicieux et doux à souhait en duo violon guitare rejoints dans les dernières mesures par la rythmique. Un « Three Little Words » très rapide que Guillaume refusera de jouer ( il en est ainsi de ces morceaux que l’on a trop travaillés !!) Caprice de star ! une plaisanterie bien sûr ! Les quatre garçons nous ravissent ensuite d’un superbe mouvement, à 3 temps, délicat et posé. Suivent les incontournables : « Body And Soul » chanté et joué par Romain, savamment déstructuré avant de retrouver sa forme initiale dans une belle unité d’orchestre. « Nuages » …que nous voudrions ne voir jamais s’éloigner tellement violon et guitares magnifient le standard de Django. « Minor Swing », encore un tempo ensorcelant qui aura raison de la corde de ré du guitariste. Romain semble bien parti pour porter l’estocade avec seulement cinq cordes comme Paganini le fit en son temps lors d’un concert mémorable sur un violon à trois cordes !

L’homme est généreux et veut rendre à sa guitare la dignité qui sied aux circonstances ; supporté par ses amis qui, changeant de style s’engagent dans un groove lourd très rock entamé par Rémi le guitariste rythmique, il réussit en un temps record à rhabiller sa belle et rejoint comme par magie, au détour d’une mesure de passage, le swing mineur interprété, il faut bien le dire, par un quartet majeur !
L’heure est venue pour nos amis de se retirer ; ils n’iront pas loin, tant le public en liesse est impatient de les revoir. Romain propose alors : « After you’ve Gone », autre standard, morceau de bravoure du jazz manouche, composé en 1918 par Layton. Chanté d’abord sur un rythme très lent, très groovy, il est doublé ensuite (le tempo est multiplié par 2) ; la vitesse d’exécution est impressionnante et la partition permet des retours à des lentos bluesies. « Les Yeux Noirs » viendront parachever le travail d’orfèvre de nos artistes, l’élégance du violon répondant toujours à la virtuosité de Romain .
Le public nombreux a quitté à regret la petite place de l’église qui résonnait de toutes ces belles mélodies et vibrait encore de l’énergie et de la belle générosité de ces «  4 garçons dans le vent ». Si la guitare « manouche » avait forme humaine, elle aurait sûrement un corps sec, musclé, noueux, un visage buriné marqué par l’effort, avec dans ses yeux noirs un regard empli tout à la fois d’une énergie et d’une tendresse infinie.
Jean-Pierre Kuntz


18 juillet 2017

La face cachée du musette ou la vie privée de Jo Privat



Concert du 17 juillet 2017, source Salmière, Alvignac-Miers, organisé en partenariat avec l'association Racines, Alvignac. 
De l'autre côté du musette (par la compagnie Du souffle aux cordes).
A qui veut y regarder de près, et Mary Estrade a décortiqué les partitions des Jo Privat, Tony Murena et autre Gus Viseur trouvées dans un vide-grenier, l’accordéon musette est bien loin du cliché du bal aux ritournelles éculées qui lui ont valu méconnaissance voire mépris pendant une cinquantaine d’années. Mais voilà, Mary est clarinettiste, Marc Estrade guitariste, Jérôme Gast contrebassiste. Pourtant le trio rend hommage, à chaque instant, à cet instrument dont Mary rappelle les « petits noms », du classique piano à bretelles au boutonneux, en passant par le « branle-poumons » et « l’attrape grand-mère ». Casquettes vissées sur les têtes et marcels blancs, les trois musiciens ont un petit air canaille.
Le musette et la clarinette cheminent alors de conserve, de découverte en surprise, de mélodies en rythmes syncopés, de valse en jazz.
Mary raconte et le fil se noue au gré des anecdotes, familiales et voyageuses. Elle donne vie à un personnage qui se donne à la musique et à l’accordéon, entre les bars parisiens et les villes de province et  ce tissu biographique se colore de musique. Ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas d’une histoire illustrée musicalement. Au contraire, chaque épisode n’est que le prétexte pour lever le voile sur la musique des grands accordéonistes de la première moitié du XXe siècle, chaque bar et chaque voyage impulsant une idée nouvelle où le musette montre peu à peu sa face cachée.
Voici venu le temps des chansons : « Que reste-t-il de nos amours ? », « Il suffirait de presque rien » où la voix et la contrebasse dialoguent avec ferveur, « Le soleil a rendez-vous avec la lune ». Alors le spectateur se laisse surprendre par une interprétation à la fois énergique et fragile, où la rythmique (guitare et contrebasse) dément toute mièvrerie et flirte avec le jazz, où sous la voix grave on entend frémir Colette Magny et Nina Simone.
Quand Jo Privat entend jouer les copains de Django Reinhardt, son accordéon invente le musette jazz. A ce moment du récit, le concert suit Jo Privat et les morceaux s’enchaînent sans craindre le mode mineur. L’ultra entendu « Nuages » s’énerve, s’écorche, se gratte, se tend et se détend, se cabre, se heurte et se défend avant de s’achever par une longue note aigüe à la clarinette, tenue, tenue, accrochée aux branches du tilleul bienveillant dont l’ombre s’estompe dans la nuit tombée. Le guitariste et le contrebassiste se lancent avec aisance dans l’aventure manouche.
Les amis Gus Viseur et Tony Murena se mêlent de cette histoire et un magnifique dialogue clarinette guitare ouvre le célèbre et poignant« Indifférence ». « La Complainte du progrès » de Boris Vian démarre, rapide, syncopée, drôle. Puis Mary scatte, longtemps, de sa voix grave, parfois rauque. Le décor change, on a quitté les bars du musette et les caves du jazz, nous nous surprenons à entendre une chanteuse de la Great Black Music, qui se tord pour donner le fond de son âme.
A Souillac, nous aimons la musique de Mary et de ses complices, celle qui éveille le lieu enfoui dans chacun d'entre nous où la peine et le doute se fondent avec la joie, celle qui arrange les idées reçues, qui éclaire à coups d’émotion les mélodies. 
Marie-Françoise

Léo Ferré et le jazz



En 1969, Léo Ferré réalise une séance expérimentale à New York avec John McLaughlin, Billy Cobham, tous deux du Mahavishnu Orchestra et Miroslav Vitous de Weather Report. Il en résulte une improvisation collective flamboyante sur le Chien, toujours inédite officiellement. C’est Jimi Hendrix qui devait enregistrer avec le poète mais malade, il ne se présenta pas au studio.
Souillac en jazz - Mardi 18 juillet, 20h30, concert piano solo Tony Hymas joue Léo Ferré, Grottes de Lacave