09 mai 2017

Longue vie au vivace vivier de musiciens

Trente de Music'Halle
L’école toulousaine Music’Halle a trente ans et le fête. Deux événements en mai, « Viva Cités & Passe Ports » constituent le troisième acte et seront suivis d’autres événements tout aussi festifs et … musicaux, au début de l’été et en automne.
Mercredi 3 mai, j’ai assisté à trois concerts « ViVa CiTés » et j’ai été secouée et enchantée. Aujourd’hui j’ai envie de dévoiler toutes les surprises de cette soirée.
Sur la scène de l’Atelier du théâtre Garonne, un jeune homme assis emploie ses doigts à débusquer les phrases sonnantes, vives, nerveuses, de sa guitare flamenca. Une femme à l’enveloppante chevelure blanche chante debout. Sans micro. On devine à quelques notes les mélodies de chansons qui parlent du temps qui passe, avec lequel oui tout s’en va et qui ne se rattrape pas. Elle ne regrette rien, Michèle Zinni, elle fouille les mots et les mélodies et débusque à son tour ce que nous, qui connaissons ces chansons depuis toujours, n’y avions jamais vu, jamais entendu. Et de ces chansons mélancoliques, elle déclenche les rires, d’abord hésitants puis sans réserve, du public. Une performance ! Ensuite, sous l’inspiration de la guitare arrive Carmen, avec humour et émotion. Michèle nous dira à la fin qu’elle a eu envie de chanter ces airs, et que c’est la première fois. Et elle terminera sur un chant corse, d’une très grande beauté. Trois moments sans concession, où nous avons ri et presque pleuré.
« Il n’y a pas de pause » quand Denis Badault et Bastien Andrieu prennent les manettes des claviers et autres machines. Sons intrigants, suspense, que va-t-il se passer ? Eric Lareine se glisse dans cette musique avec des mots frémissants ou explosants et construit peu à peu un paysage déroutant, celui de rêves où perce un réel inquiétant et mélodieux. Face à lui, Magyd Cherfi raconte, c’est là son métier et son art. Se raconte, différent. Lui qui s’assied sur un banc pour lire essuie les taloches, repoussé par sa communauté. Les mots sont là, tiennent bon, le tiennent et le maintiennent. Eric Lareine y insinue ses propres histoires. Ils termineront par une ode à l’église Saint-Sernin et son marché aux puces du dimanche matin, dieu et diable côte à côte et on ne sait pas bien lequel est le démon, lequel est le divin. Sur une musique d’église quelque peu perturbée, ils confessent de conserve qu’ils ne croient qu’en l’Homme. Tous les quatre jouent entre eux, jouent des sons, jouent des mots ; la musique s’improvise, de surprise de surprise et colore de rêve la partition verbale.
À ces deux premiers concerts, je ferais bien un reproche : pourquoi s’arrêter ? On est si bien avec vous.
Troisième mouvement : face à nous une estrade avec quatre guitaristes assis, à leur gauche un beat boxer et un saxophoniste tous deux munis de machines, à leur droite un guitariste et un claviériste. C’est le guitarkestra. Une mise en scène décalée pour un grand moment de pleine musique, dans lequel je m’installe avec délectation. Menée par le guitariste Lone Kent, la formation installe son univers, qui combine l’électro et le guitare-héros, les effets du beat boxeur et les mots du poète, les envolées longues et mélodieuses et le rock âpre et remuant, un univers contenu par un flux de musique répétitive qui permet toutes les audaces et extravagances. Je les vois très concentrés, très attentifs, de chacun à chacun, et je me détends, laissant les flots de sons se glisser dans mes rêves. Eric Lareine apparaît et offre un long dialogue avec le beat boxeur David Dutech qui plus tard s’assiéra au cajon, pour un moment de percussions endiablé. Des pointes d’humour, ils en rient. Des toms, des cymbales, des pédales arrivent sur scène et comme par enchantement un batteur se lance dans la bagarre. Énergie communicative.
Plus que bon anniversaire, je souhaite longue vie à Music’Halle, vivier vivace d’artistes qui irriguent nos vies - et nos festivals - de musiques, de poésie et de rêves.
Marie-Françoise
Mercredi 3 mai, 30 ans de Music’Halle, théâtre Garonne, Toulouse
Duo : Michèle Zini chant et Olivier Vayre guitare
Deux claviers, deux voix : Denis Badault piano, Bastien Andrieu clavier, machines, Eric Lareine chant, Magyd Cherfi conteur
Guitarkestra meets the Post-Rock-Electro band : David Dutechbeatbox, cajon, David Haudrechyclavier, sax soprano, Thomas Terrien machines, piano, Lone Kent guitare baryton
http://www.music-halle.com/

07 mai 2017

Lorenzo Naccarato, une Komet à Souillac



Le Trio de Lorenzo Naccarato s’est produit vendredi 28 Avril , salle Du Bellay à Souillac, dernier concert de la saison d’Hiver du théatre de l’usine de Saint-Céré en étroite collaboration avec le festival « Souillac en Jazz » .
Les trois jeunes et brillants musiciens ont offert à plus d’une centaine d’auditeurs attentifs et captivés une performance musicale originale faite essentiellement de compositions du pianiste  Lorenzo Naccarato ; le groupe éponyme est né de la rencontre de trois jeunes musiciens en 2012, actifs sur la scène jazz de Toulouse . Leurs parcours universitaires les ont amenés à développer la pratique singulière d’une théorie que le pianiste explique au public dès les premiers morceaux : le Jazz cinématique .
 
Derrière cette dénomination savante se profile la théorie d’un physiologiste français du XIX è siècle :Jules Etienne Maret qui soutient que dans le galop du cheval les phases d’extension supposent toujours le repos d’au moins un membre de l’animal ; c’est l’anglais Muybridge qui en donnera la preuve scientifique en 1878 à l’aide un montage chronophotographique astucieux .
Quel rapport , me direz-vous, avec la musique ? Lorenzo Naccarato nous indique que c’est la notion de mouvement, de continuité qui prime dans l’ exploration musicale du groupe. En effet, si les compositions s’éloignent des formats « classiques » du jazz , hérités du swing et des différentes variations du bop, elles s’inscrivent résolument dans les écritures modales plus contemporaines que nous connaissons aujourd’hui ; le public n’a pas manqué de citer à la fin de ce concert des rapprochements évidents avec EST, Avishai Cohen .. on pourrait ajouter Yaron Hermann et toute cette nouvelle veine de trios piano.
Continuité donc ; celle notamment de la main gauche du pianiste qui délivre des lignes cycliques envoutantes et magnétiques en ostinatos puissants et assure l’aération du thème . Le jeu d’Adrien Rodriguez est rond et massif  : la contrebasse double souvent la main gauche du pianiste assurant ainsi l’assise harmonique stable du propos. Une complicité toute particulière, fruit d’un travail assidu entre nos trois performers, est surtout lisible entre Lorenzo et Benjamin Naud le batteur ; plus encore percussionniste dans la nouvelle tradition de ces jeunes batteurs de jazz . En totale osmose , en « eye contact » permanent, ces deux-là dialoguent , échangent ; la part belle est de ce fait laissée aux futs, aux cymbales, aux objets sonores, qui chantent et content une histoire .
Benjamin Naud déconstruit les rythmes , jouant des mesures à  7 , 9 ou 11 temps; à quoi bon frapper les temps forts quand on peut le faire un peu .. avant ou un peu … après ? Ce qui résulte de cette complexification du rythme, c’est une forme de déséquilibre permanent qui assure aux pièces une énergie folle et fluide. Elle permet également un travail d’ouverture de l’espace sonore comme lors de ces plages où Adrien peut faire chanter sa contrebasse à l’archet en de puissantes mélopées .
On pensera bien sûr à la notion d’ « interplay »  fondée par Bill Evans,dans les années 60 ,  synonyme d’ intrication des lignes mélodiques et rythmiques de chaque protagoniste du trio , quoique cette expérience fut construite à son époque sur une base mélodique et harmonique très classique .Le trio Naccarato distille cette technique différemment aujourd’hui .
On pourra penser également aux trios d’Ahmad Jamal, grand maître de l’espace et du temps ; on retrouve avec nos trois jeunes musiciens cette science de l’espace sonore , et le plaisir facétieux de sans cesse bouger les lignes rythmiques .
Le public de Souillac ne s’y est pas trompé qui a chaleureusement applaudi le Trio Naccarato et apprécié la petite perle classique que Lorenzo nous a offert en rappel solo : une délicate barcarolle dédiée à celle qui a initié sa carrière pianistique .
Nous ne pouvons qu’être assurés que dans les années qui viennent, ces trois brillants musiciens sauront encore nous ravir de leur talent !
Jean-Pierre Kuntz contre-bassiste mais pour le jazz ! en réponse à La Vie Quercynoise

                                                                    photos Pierre Ravix