23 juillet 2014

Le conteur de la Dordogne



 Le conteur Clément Bouscarel a participé cette année à la randonnée jazz, charmant au cours de trois pauses les randonneurs et spectateurs. Il avait répondu la veille aux questions de deux bénévoles du festival.
Pouvez-vous nous dire comment vous êtes devenu conteur ?
Ce n’est pas moi qui suis allé au conte, c’est le conte qui m’a « inondé ». Je suis d’une famille rurale où se racontaient des histoires. Mes histoires me viennent de mon grand-père et de mon grand-oncle. En fait, je n’ai jamais voulu être conteur. J’ai fait des études sur l’environnement, pour travailler près de la nature. Ça s’est fait un peu par hasard : je travaille dans un village de vacances, à Turenne et un jour, on m’a demandé d’assurer des veillées. J’ai accepté et j’ai commencé à raconter des histoires du Quercy, celles de mon grand-père et mon grand-oncle. Le public, qui n’était pas constitué de gens du coin, a énormément apprécié ces histoires et voilà comment ça a commencé. Je était évident que le conte touche tout le monde parce qu’il est universel : il raconte une histoire et aussi une histoire de la langue. Si la chanson est quercynoise, la structure, la colonne vertébrale, l’essence de la légende sont universelles.
Établissez-vous un lien entre le conte et le jazz ?
Oui, bien sûr. Une histoire c’est une musique, et un morceau de musique c’est une histoire. Un musicien s’exprime son ressenti, son vécu avec des notes et un conteur le fait pareil avec des mots. C’est seulement une question de langages différents.
Pensez-vous que, comme le conte, la musique soit narrative ?
Oui, toujours. Le musicien fait passer ce qu’il vit sur le moment, il joue avec son vécu, son oreille, ce qu’il a au fond de lui : c’est déjà une histoire - son histoire - et c’est une langue. Pour moi, n’importe quelle musique est une histoire et je la reçois comme ça même lorsqu’elle paraît déstructurée. D’ailleurs, le conte n’est pas forcément structuré comme une narration classique, avec un début, un milieu et une fin.
Moi, j’ai mon instrument de musique qui est ma voix et j’ai quelques notes que j’utilise avec mon corps ; mon esprit peut se libérer et donner des histoires. Alors, le conte est vraiment de la musique. N’importe quelle musique me raconte une histoire. Il y a des gens qui racontent en peignant, d’autres qui racontent en dessinant, d’autres en faisant de la danse. L’art sert à exprimer quelque chose, et je vois dans l’art la manière de raconter des histoires.
Un conte et une histoire, est-ce que ce sont deux mêmes choses ?
Pour moi oui. L’essence même du conteur est un des plus vieux statuts (je ne veux pas dire métier parce que conter n’est pas seulement un métier) des sociétés depuis que l’homme a maîtrisé le feu. Quand l’homme a pu maîtriser le feu et la lumière, alors l’art a eu sa place.
On ne peut pas faire la différence entre les contes et les histoires : le conte naît des histoires et les histoires naissent des contes. Je veux quand même dire que les contes ont un fond récurrent universel. Il y a plusieurs manières de conter et il y a des signatures. Prenez par exemple les contes de Nasreddine, ce sont des contes très courts qui sont très percutants. On prend une très grande claque quand on écoute de petites histoires de Nasreddine parce qu’elles sont extrêmement profondes. Mais n’importe qui peut être conteur parce qu’il peut raconter sa vie ou raconter la vie de quelqu’un d’autre. Un récit de vie, pour moi c’est du conte.
Avant tout, le conte, pour moi, c’est un voyage. Et c’est pour ça que la musique, un conte, un tableau, regarder une chorégraphie de danse, n’importe quel art, c’est un voyage. Chacun a une sensibilité, une émotion qui lui permet de partir et de voyager avec un artiste quel qu’il soit.
Est-ce que vous voulez dire que, parce qu’il est structuré, le conte permet d’improviser ?
Oui, ce n’est pas par hasard que de vieux contes qu’on connaît tous, Blancheneige, Cendrillon, ont traversé les siècles. C’est parce qu’ils sont très structurés. Il y a la colonne vertébrale et après on nourrit l’histoire à son idée.
Donc le conte, comme le jazz, utilise l’improvisation ?
Mais bien sûr, le conte ce n’est que de l’improvisation. En tout cas dans ma manière de conter. J’ai reçu le conte et je suis peut-être un des derniers à le transmettre de cette manière dans cette région : normalement les histoires voyagent dans le temps par le bouche-à-oreilles. Mais aujourd’hui, quand je demande au public : « si vous voulez des histoires où allez-vous les chercher ? » la réponse est : « dans les livres ». Mais pour aller chercher des histoires dans un livre, il faut savoir lire et écrire. Je pense que ce n’est pas comme ça que voyagent les histoires : elles circulent de génération en génération. Ainsi se transmet une structure de l’histoire et le conteur la met à sa sauce.
Dans votre répertoire, il y a les histoires que vous ont transmises vos grands-parents. Y en a-t-il qui vous sont propres ?
Aujourd’hui, il y a des histoires que je travaille, qui me sont propres. Il y a aussi des histoires que j’ai prises à droite à gauche mais la façon de conter, c’est mon grand-oncle et mon grand-père qui m’ont transmis et ils l’avaient reçue quand ils étaient petits. Certains conteurs apprennent un texte… il y a même des conteurs où il y a un éclairage, une mise en scène. Moi je suis plus dans l’échange direct et une grande proximité avec le public.
D’où vous viennent les idées ?
Quand je la reçois une histoire, même toute petite, si elle me touche, peut être travaillée et rejoindre mon répertoire. Une anecdote de trente secondes que quelqu’un me raconte à la fin d’un spectacle, je la transforme en une histoire d’un quart d’heure ou vingt minutes. Et c’est un échange énorme avec le public. Un certain nombre d’histoires de mon répertoire sont nées de ce que des gens m’ont raconté à la fin de spectacles.
La base de mon répertoire est de famille. Mon histoire sur la chasse volante, - ce sont des nuages noirs qui avancent dans le ciel, poussé par un vent qui fait un tel bruit qu’on croirait que ce sont des chiens qui mènent dans le ciel, (en gros c’est la mort qui vient sur terre) - est une histoire qui m’a été racontée à la fin d’un spectacle. Elle m’a touché et j’en ai fait tout un conte.
Vous allez participer à un événement du festival de jazz : la randonnée jazz contée ? Comment l’envisagez-vous ?
C’est une première non ? Combiner le temps de conte avec un temps de musique, c’est compliqué. Il y a une différence entre le conte et la musique : le conte a besoin de toute l’attention des spectateurs parce qu’il y a les mots. Il y aura des pauses spécifiques pour le conte.
Comment allez-vous procéder? vous allez raconter un conte et ensuite, les musiciens vont jouer ?
Oui il y aura quatre stations. Mais ce ne sera pas quatre histoires. Lors de la première station, j’ai envie de parler de la rivière, simplement : ce qu’elle est, pourquoi on est là, son parcours, sa nature, son caractère. Et après ce seront des histoires.
Vous savez déjà lesquelles ?
Une oui et après non.
Vous racontez souvent ?
Oui, de plus en plus. Il y a de plus en plus de gens qui me sollicitent et ça me fait plaisir. Pour moi d’abord. Et ensuite, ça me fait plaisir de voir que les gens s’intéressent encore aux histoires et qu’ils sont sensibles au patrimoine qu’on a ici. Ça me fait plaisir que les gens aient envie d’écouter, au lieu de regarder la télé… je suis intimement convaincu qu’on ne pourra jamais remplacer quelqu’un qui raconte une histoire.
Pouvez-vous nous parler du plaisir du conteur au moment du conte ?
Le plaisir vient des échanges : je suis très très très content de raconter mes histoires, enfin nos histoires parce qu’elles appartiennent à tout le monde. Ce sont des histoires importantes pour tout un peuple. Ce que le public va donner, c’est très très fort. Le plaisir des mots, de la langue et le plaisir des gens constituent le plaisir de conter. Dans une salle où il n’y a pas un bruit, où on entendrait pas une mouche voler, où on sent un public extrêmement présent, et qui ne demande qu’une chose c’est de manger le mot qui va sortir de la bouche, il se passe quelque chose d’extraordinaire.
Et le plaisir des mots ?
C’est un peu ma signature. Je vais assaisonner mes histoires de mots occitans. Les histoires m’ont été racontées en occitan quand j’étais petit. C’est une langue que j’essaie de sauvegarder, de faire vivre et quand je parle des plaisirs des mots, c’est souvent dans cette langue que je savoure.
C’est une langue extrêmement imagée, chantante. Je me plais à mettre ces mots et là où je me plais encore plus, c’est que je ne traduis pas et que les gens comprennent.
Il est délétère pour une langue d’essayer de la traduire. Vivre le mot, l’imaginer, lui donner un sens, c’est beaucoup plus riche que le traduire. Il est évident que le son du mot met dans la tête des images. La langue est le liant de toute une culture, d’un peuple. C’est très important de faire vivre une langue parce que elle est une façon de penser.
A la fin d’un spectacle, une dame m’a dit : « Merci beaucoup, j’ai voyagé toute la soirée. » Ça me touche énormément. Comme ceux qui me disent : « On oubliait presque que vous étiez là. » Ça veut dire que c’est pas moi, que c’est l’histoire qui a envoûté les spectateurs et que j’ai construit le décor avec mes mots.
Vous ne comptez pas sur la mise en scène ?
Je fais totalement confiance à mes histoires. Moi pour la mise en scène est très simple : j’ai un banc d’où je raconte. Je raconte bien quand les gens sont proches. Pour moi raconter une histoire c’est très intime, c’est une partie de soi qu’on donne.
Interview accordée par Clément Bouscarel à Marie-Françoise Govin et Eve Mazet le 18 juillet 2014