19 juillet 2013

Il était une fois…New York en jazz


Mais je rêve ! New-yorkaise de souche, j’ai été époustouflée lundi soir de retrouver ma ville natale sur le grand écran à Souillac, tout jazzifiée dans le beau film d’Olivier Taïeb, « Jazzmix in New York ». 

Certes, ce n’est qu’un étranger qui aurait pu faire un film pareil. Car le New York que Taïeb nous sert – à travers une cinématographie et une bande sonore délicieuses -- est une ville publique, dépourvue de la vie privée qui existe pourtant dans les grands immeubles d’appartements ou de bureaux. Son New York est parfois monstrueux et impersonnel, avec ses gratte-ciels d’acier et de verre, ses véhicules municipaux dégorgeant du dioxyde de carbone et son trafic interminable de taxis, camions et piétons. C’est une métropole industrielle, en perpétuel mouvement impitoyable, dont les décibels de la vie quotidienne semblent laisser les passants indifférents. Des passagers oscillant dans le métro au marché chaotique de Chinatown, ce New York est grumeleux et miteux, plein de néon et de grues. D’ailleurs tout semble avoir été filmé sous la pluie, ce qui mitige et à la fois augmente l’assaut écrasant sur les sens. 

Le New York de Taïeb s’étale dans toute sa diversité ethnique (on constate notamment beaucoup de juifs hassidiques), tous ses misères humains (la caméra suit un ou deux SDF dans leur train-train quotidien) et tous ses métiers incontournables (pompiers, agents de la circulation…). C’est vrai que Taïeb nous offre aussi quelques vignettes plus paisibles : des visages captés dans la foule, des amoureux sur un banc à Central Park, des feuilles d’automne, et les rivières qui entourent Manhattan, auxquelles survolent les inévitables mouettes. Mais l’effet prédominant, du moins pour moi, est celui d’une mégalopole à la dérive. 

Sauf – heureusement – pour tous les scènes filmés dans les huit clubs de jazz que Taïeb nous a judicieusement choisis. De Tribeca à Soho, en passant par Murray Hill et Harlem, il recourt l’île et parsème tout le bousculement de l’extérieur avec des prises de vue plus intimes de musiciens et de leurs spectateurs. La sensualité de ces prises à l’intérieur est à pleurer, car les caméramen (dont Taïeb lui-même) savent mettre en valeur les couleurs bourgogne, cuivre et noir du décor et des instruments musicaux. La caméra fonce avec amour sur les mains des musiciens, des doigts corpulents d’Anat Cohen sur la clarinette aux doigts élégants de Vijay Iyer au piano. Big smiles, big music, alors que les musiciens interagissent avec une délectation évidente. Résultat : une vision de New York parfois sévère ou peu flatteuse, mais qui rend aussi hommage à cette capitale fulgurante du jazz. 

On ne se rend même pas compte de l’absence de narration, qui est plutôt bienvenue, car de ce fait le film se fait plus universel et se prête à 90 minutes non-stop de rêverie. Sa magie réside dans sa capacité de faire jouer les correspondances baudelairiennes, où « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Les morceaux de jazz se marient parfaitement avec les prises de vue : La prise incongrue de poissons d’aquarium aux grosses bouches entrouvertes, par exemple, est accompagnée de notes basses pour fournir une petite touche humoristique. 

Dommage que le cinéaste n’ait pu être parmi nous lundi soir, cause perturbations de train. Car j’aurais bien aimé lui poser toute une série de questions sur son ou ses séjours à New York, s’il le connaît bien, pourquoi il n’a pas traversé la East River pour aller documenter les scènes de jazz à Queens ou Brooklyn. N’importe : Olivier Taïeb, votre New York est sûrement différent du mien, mais de toute évidence vous adorez cette ville. Comme moi. 

Merci donc, M. Taïeb. Et merci, Souillac en jazz, pour nous avoir amené ce rêve ciné- symphonique.

                                                                                     --Erica