23 octobre 2010

Wayne Shorter quartet

Wayne Shorter n’a pas prononcé une parole et il n’est pas aisé de mettre des mots sur le concert donné mercredi soir 20 octobre à Odyssud. Une ouverture délicate au saxophone solo a pu laisser croire à un déroulement classique, introduction, thème, chorus et reprise du thème. A aucun moment le concert ne s’est déroulé ainsi : tant mieux ! Pendant les deux premières parties, longues suites de morceaux, les interventions de Wayne Shorter furent presque minimalistes. Une phrase où le travail sur le son était aussi prégnant que l’idée ou la mélodie, courte, était offerte aux trois autres musiciens qui s’en emparaient avec bonheur. Bonheur visible sur leurs visages aux sourires épanouis et dans la très grande liberté avec laquelle ils ont amplifié, décliné, détourné les notes du saxophoniste. Le quartet est une entité très soudée, très rodée aussi, capable de saisir chaque inflexion, chaque nuance, chaque idée. Paradoxe : Wayne Shorter jouait peu et la musique, dense et complexe, s’étendait, s’étirait, emplissait l’espace. Alors sous les doigts poètes de l’admirable pianiste Danilo Perez se créait une chansonnette ou un air répétitif et obsédant, piano rythmique devenant mélodique en un instant, piano structurant. Sur sa rythmique, John Pattituci à la contrebasse et Brian Blade à la batterie développaient à leur tour des mélodies, ou simplement maintenaient le groove. Jusqu’à la petite phrase suivante. Le long déroulement était déconcertant : une musique très syncopée, avec quelques accents free et pourtant mélodique et calme, musique répétitive interrompue par de longs développements. On ne sort pas indemne d’un tel concert qui interroge tout le temps les codes et les échanges. Lors de la deuxième partie, les interventions du saxophoniste ont pris de l’ampleur, sans brider l’orchestre, appuyant le travail sur le son, chuchotant jusqu’au souffle ou déployant les aigus jusqu’à l’explosion. L’Afrique aussi était là : les tambours de Brian Blade et les appels au saxophone ont introduit un troisième morceau, plus narratif, où l’archet de John Pattitucci apportait poésie et repos quand le piano maintenait une implacable rythmique un peu inquiétante. Ruptures, paradoxes sont des mots de l’intellect et parcourent ce texte ; mais la musique de Wayne Shorter est charnelle : il suffit de se laisser porter, surprendre, il suffit d’entendre, bercés par une inlassable présence ineffable ou emportés par une vague, soulevés par une lame de fond. Trois morceaux pour une heure et demi de concert et puis deux rappels pour que tout ceci reste inscrit définitivement dans nos oreilles : une ballade, un peu de groove… Toujours sans une parole, Wayne Shorter très présent, lança un troisième rappel, devant la salle debout, consciente d’avoir vécu dans un espace de musique neuf venu du fond de l’âme.
Marie-Françoise

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