19 août 2010

"Photographier tue"


Je ne sais plus si j'ai rencontré un chat noir vendredi 13 dernier mais que ce samedi 14 août a été triste. Abbey Lincoln que nous avions accueilli à Souillac en 1999 (photo) est partie au bras d'Herman Leonard - l'avait-il photographiée - qui avait su immortaliser notamment Kenny Clarke et Dexter Gordon venus eux aussi chez nous en 78 et 81. Un de mes premiers livres sur le jazz était "L'œil du jazz" paru en 85 chez Filipacchi, un de mes prochains sera sûrement "Jazz" qui paraîtra en novembre prochain chez Grove Atlantic et Bloomsbury. Il était le photographe du jazz, il était le photographe de la lumière, il était le photographe des volutes de fumée de cigarette, celles qui transcendent le jazz des années 40 et 50. Quant à Abbey Lincoln, je reprendrai simplement les quelques mots écrits dans "Histoires d'éloges":

"Le jazz, c’est aussi les rencontres intergénérationnelles. Après l’insouciance d’un Petrescu, la plénitude de Betty Carter ou Abbey Lincoln. Toutes deux nées en 1930, elles nous servent leurs chevaliers Jacky Terrasson, Marc Cary, Jaz Sawyer, Eric Revis,… tous acquis à leur grande dame à grandeur d’âme.
Poète, Miss Lincoln, la dernière grande chanteuse de jazz est toutes les femmes. De déchirures en espoir, de rêves en colère, elle a atteint une plénitude nourrie « avec le temps ». Ce n’est pas une voix, c’est une manière de dire les mots, MOTS d’amour, MAUX du monde. La musique est sa force, sa philosophie, sa liberté, sa spiritualité. Fruit d’une alchimie entre Bessie Smith et Billie Holiday, toute de noire vêtue, elle est aussi éblouissante qu’émouvante, tendre que rebelle.
On est vendredi 16 juillet 1999. Abbey est arrivée la veille. Elle loge place du beffroi, le marché bat son plein comme tous les vendredis. Les Jazzystochats et leur drôle de jazzymobile jouent. Quand Abbey sort, les odeurs, les bruits, tout ceci lui saute au visage, au cœur par surprise. Hier au soir en rentrant la place était vide, ce matin elle grouille, ça sent le cabécou, le canard comme aurait dit Bécaud de ces marchés de Quercy.
Abbey est envahie par l’émotion. Un petit déjeuner, des mots de réconfort viennent se mêler aux mots sans voix, aux mots à fleur de peau de cette poétesse. Le jazz, c’est la vie. Cocoonée jusqu’au soir, Abbey la nuit venue nous charme par ses poèmes, ses révoltes, ses écrits, ses sentiments élevés à l’extrême par ses talentueux « gamins ».
Robert Peyrillou

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